12 Oct Pour être heureux au travail, misez sur vos émotions plutôt que sur vos capacités
Boule au ventre sur le trajet du travail, plus envie de décrocher le téléphone, manque de confiance en soi… Et si il était temps d’être attentif à ses émotions ? L’enjeu ? Être sûr d’occuper un poste en adéquation avec tout notre être.
En matière de vie professionnelle, certains en suractivité permanente craquent sous la pression par surmenage ou parce qu’ils ne trouvent plus aucun sens dans les tâches accomplies au quotidien. D’autres, un beau jour, ouvrent les yeux et prennent conscience que leur job ne correspond ni à leurs valeurs, ni à leur personnalité. En cause ? Une méconnaissance de soi, une négligence de ses émotions et de sa psychologie. Ne serait-ce pourtant pas les clefs du bonheur au travail ?
Où sont passées nos émotions ?
Durant ses 15 années d’expérience, Raphaèle Cautela, coach en dynamique professionnelle, reçoit principalement des femmes, toutes à un croisement dans leur vie professionnelle, qui se rendent compte qu’elles ne sont plus heureuses dans leur travail. «La majorité de mes clients sont cadres supérieurs, ont eu une belle formation et ont un bon salaire. Leur carrière donne envie, et pourtant, ils ne sont pas épanouis du tout. Ils ont écouté les envies de tout le monde, sauf les leurs», précise la spécialiste.
Un conditionnement sociétal et familial
Ils ont écouté les envies de tout le monde, sauf les leurs
Raphaèle Cautela, coach en dynamique professionnelle
À l’origine du phénomène, un conditionnement parental d’abord. Dans certaines cellules familiales, il en faut peu pour que les émotions, les souhaits, passent après celles et ceux des proches. Comme beaucoup d’autres dans son cas, Diane (1), 33 ans, se souvient avoir opté pour le secteur de la finance surtout parce qu’il plaisait à ses parents. À l’époque, son frère aîné est turbulent. Pour compenser, Diane veut être la fierté de ses parents. «La finance me paraissait sécurisante, je ne faisais pas de vagues», explique la trentenaire.
Mais pour rester fidèle à sa personnalité et à ses valeurs, encore faut-il se connaître. Et la société elle-même ne nous enjoint pas à nous fier à nos émotions. Selon Cécile Neuville (2), psychologue, elle nous encourage encore moins à les exprimer : «Elles sont tuées dès l’enfance. On nous apprend à les contenir et à être dans la retenue émotionnelle. Par exemple, quand un bébé pleure, on veut qu’il s’arrête immédiatement.» La coach Raphaèle Cautela va même plus loin, «une famille peut étouffer un trait de caractère. L’enfant se construit alors petit à petit le caractère opposé, et quelqu’un d’extraverti peut se transformer en une personne introvertie.»
La tentation du confort
Nos émotions et nos envies peuvent aussi parfois être tues par le confort qu’offre un poste en CDI. Après tout, la place est stable, le salaire est régulier et correct, alors tant pis pour le reste. C’est ainsi qu’à 53 ans, Axelle a passé plus de vingt-cinq ans à un poste de secrétaire de direction. «Ma vie était plus simple comme cela et je ne souffrais pas au travail. Ce n’était simplement pas une grande passion», confirme-t-elle. Pourtant, son poste ne lui correspond en rien. Axelle est animée depuis l’enfance par l’enseignement, et avide de culture. «Dans mon entreprise, on m’appelait l’intello parce que je faisais des expos le week-end, se souvient-elle. J’ai décidé de taire certaines de mes activités pour me fondre dans le moule et être tranquille.»
À 40 ans, Edwige reconnaît quant à elle s’être rapidement laissée happer par une certaine routine, et s’être oubliée progressivement. Ne trouvant pas d’emploi à la sortie de son école d’architecture, elle accepte un poste de vendeuse et parvient en peu de temps à être responsable de boutique. «Dix ans se sont écoulés de cette façon. Mon cerveau était en veille», confesse-t-elle. Et ladite routine peut s’avérer dangereuse : «en psychologie on appelle cela le phénomène de « l’adaptation édénique ». Ou comment le cerveau entre dans une routine et n’apprécie pas. On a besoin de changement pour être épanouie, c’est très important», commente Cécile Neuville.
En France, il faut correspondre à l’image du bon petit soldat
Un job en opposition à une philosophie de vie
Nier sa personnalité ne dure qu’un temps, et les premiers signes avant-coureurs ne tardent pas à se manifester. La prise de conscience n’en est pas moins laborieuse. Au bureau, rester et encaisser coûte que coûte est presqu’une ligne de conduite. «En France, il faut correspondre à l’image du bon petit soldat. Celui qui ploie sous son travail est faible, donc on tient parce que l’on pense que c’est notre devoir», commente la coach Raphaèle Cautela.
Chez Diane, les signaux ont été envoyés par son corps. Elle réalise que la finance engendre chez elle des insomnies, du stress ou des crises de palpitations. La trentenaire rencontre même des difficultés pour tomber enceinte, un souci qu’elle finit par associer à son mal-être professionnel. Elle quitte son job pour réfléchir à son avenir. «Ces mois m’ont permis de m’écouter pour la première fois de ma vie, et de savoir ce que je voulais et ce que je ne voulais plus. Mon caractère ne collait pas avec les attentes du secteur financier, je suis sans doute trop entière. Certains tempéraments de collègues m’horripilaient.»
De son côté, Axelle ouvre les yeux quand son fils quitte le toit familial. «J’ai toujours voulu transmettre des choses et être dans une branche culturelle, les enseignants me faisaient rêver. Quand j’aidais mon fils à faire ses devoirs, j’avais l’impression de m’en approcher. Puis il a grandi et quitté la maison. Il n’avait plus besoin de moi, cela m’a fait un vide énorme», se remémore la quinquagénaire.
«Beaucoup de gens trouvent que leur métier n’a pas de sens. Quand ce constat est fait, il est difficile d’être bien dans son milieu professionnel», renseigne, la psychologue Cécile Neuville. Petit à petit, Edwige prend conscience qu’elle n’a plus rien à faire dans le domaine de la vente de vêtements. «J’ai grandi dans une banlieue verte de l’Essonne, j’ai la fibre écologique, mes nombreux voyages m’ont fait tomber amoureuse de la nature. Alors voir que le réassort de vêtements arrivait sous un plastique très polluant et avoir l’impression de participer à la surconsommation… Je ne pouvais plus», détaille-t-elle.
Le nouveau départ
J’ai enfin trouvé la liberté que je cherchais dans mon travail
Diane, agent immobilier
«Des études ont démontré que les gens heureux sur le long terme au travail étaient ceux qui exerçaient un métier de passion, et non ceux qui ont un job ou une carrière. Il faut écouter davantage son cœur que sa raison», souligne la psychologue. «Je suis beaucoup plus épanouie. Même si je travaille plus qu’avant, cela ne me pèse pas du tout parce que j’adore ce que je fais. J’ai la vie que j’ai toujours voulu avoir», s’enthousiasme Axelle. Le départ de son fils a été un électrochoc. Peu de temps après, elle tente par deux fois le concours pour devenir professeure des écoles. La deuxième sera la bonne, Axelle attend sa titularisation en juin prochain.
Diane souligne aussi l’importance d’être à l’écoute de sa propre psychologie et de ses attentes. Depuis qu’elle s’est reconvertie en agent immobilier suite à un bilan de compétences, la trentenaire savoure : «Je n’ai plus de coups de blues le dimanche soir. Ça ne me dérange pas de travailler le week-end, alors qu’avant j’aurais fait une insomnie rien qu’à l’idée d’ouvrir un fichier Excel le samedi. Je ne subis plus la pression de mon entourage professionnel. J’ai enfin trouvé la liberté que je cherchais dans mon travail.»
Edwige, quadra à l’âme verte, a quitté ses fonctions après une dispute avec son patron. Un bilan de compétences la dirige vers les cours du soir pour passer les concours de paysagiste. Le virage professionnel n’en est pas moins difficile à prendre. «Quand je suis arrivée à l’école après avoir obtenu mon concours, je me suis pris une grosse claque. Les autres étudiants avaient quinze ans de moins que moi et je devais renouer avec l’apprentissage. C’était une réelle épreuve du feu», se souvient Edwige.
Avant de révolutionner sa vie professionnelle, la coach Raphaèle Cautela estime qu’il est un ultime principe à respecter : «être la même personne à la maison qu’au travail. Il ne faut pas revêtir le costume de celui qui va travailler.»
(1) Le prénom a été modifié.
Le Figaro Madame.fr Par Lucie Rousselle | Le 13 février 2018